Même avant l'élection de Donald Trump, nous avions, pour beaucoup, une opinion assez tranchée sur Elon Musk. Il faut admettre qu'il sait attirer l'attention, que ce soit par ses projets ou ses entreprises. Cependant, depuis qu'il a apporté son soutien à ce nouveau président américain, son discours est devenu de plus en plus insultant plutôt que constructif. Cela reflète, à mon avis, un phénomène croissant de notre époque : même si l’on se dit tolérant, il ne s'agit souvent que d'un maquillage qui finit par se dissiper.
Je ne cherche pas à défendre Musk ou son ami récemment élu. En tant que Canadien, j'ai d'autres priorités que d'acheter des produits Tesla ou Starlink. Certes, leurs propos peuvent être désappointants et ne font rien pour faire avancer les causes sociales, à part polariser encore davantage les débats. Cependant, je vois en eux à la fois la cause et le résultat d'une lente évolution du discours politique et public. Mais bon, mes opinions en science politique ne sont pas l'objet de ce blog.
Ce qui me préoccupe, en revanche, ce sont les arguments qui cherchent à dénaturer Elon Musk. Dire que c'est un "homme blanc riche", c'est un cliché facile qui ne mène nulle part et ne changera rien. Mais réduire son comportement à son syndrome d'Asperger, comme on l’a vu à plusieurs reprises, me semble non seulement insultant, mais aussi malvenu.
En 2021, lors de son passage à Saturday Night Live (https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1791622/elon-musk-autisme-dogecoin-snl), Musk a révélé qu'il avait été diagnostiqué avec le syndrome d'Asperger. C’est bien qu’il ait choisi de partager cette information, mais immédiatement, comme j'ai pu le constater moi-même, plusieurs personnes ont fait des liens douteux entre son comportement et ce diagnostic, dans ce que j'appelle un « cherry-picking argumentatif » : on sélectionne des éléments de son comportement qui semblent correspondre aux symptômes du syndrome, sans véritable rigueur scientifique. Ce type d’approche est risqué car il repose sur des informations incomplètes et une analyse superficielle. Au lieu de chercher à comprendre les causes profondes de son comportement, on se contente de renforcer des préjugés.
Il est vrai qu'il pourrait y avoir des liens entre Elon Musk et le syndrome d'Asperger, mais ces liens ne sont ni vérifiés ni étayés par des analyses approfondies. De plus, il est important de comprendre que les symptômes associés à ce syndrome peuvent être très variés d'une personne à l'autre et ne se traduisent pas nécessairement par un comportement uniforme. Le syndrome d'Asperger n'est pas une étiquette simpliste, mais un spectre de traits qui interagissent avec l'environnement social de la personne qui en est atteinte. Ce n’est pas une sorte de genre (comme "homme" ou "chat") mais une condition qui peut influencer, entre autres, la manière dont une personne perçoit et interagit avec les autres.
Le trouble est souvent mal compris, qu'il soit perçu de manière positive ou négative. Certains l'associent à des traits positifs comme la logique et la pensée analytique, tandis que d'autres y voient une forme de froideur ou d'incapacité à s'intégrer. Mais réduire une personne à ces traits ou chercher à l'enfermer dans une case, comme c'est le cas avec Musk, est une démarche simpliste et dangereuse.
Pour illustrer mes propos, voici quelques articles des grands médias qui, à mon sens, relèvent ce genre d’approche problématique dans l’utilisation du diagnostic.
- La Presse (https://www.lapresse.ca/affaires/2023-09-11/elon-musk/une-biographie-depeint-les-obsessions-et-les-methodes-brutales-du-milliardaire.php) : « Elon Musk s’est ouvert à son biographe sur le syndrome d’Asperger, une forme d’autisme pour laquelle il a été diagnostiqué, ce qui explique, de son propre aveu, qu’il soit "mauvais pour décoder les signaux relationnels" dans ses rapports avec les autres. »
- Le Soir (https://www.lesoir.be/635547/article/2024-11-13/musk-ministre-de-trump-le-pari-politique-fou-de-lhomme-le-plus-riche-du-monde) : Article qui commente les récents développements politiques de Musk, mais où ses traits de caractère sont souvent associés à son diagnostic, sans véritable analyse des contextes sociaux et psychologiques.
En résumé, comme mentionné au début, utiliser le syndrome d’Asperger comme une explication facile pour accuser ou dénigrer un personnage public comme Elon Musk représente bien un reflet de notre époque. Nous prétendons être plus évolués et ouverts d'esprit, mais nous restons encore dans une logique de jugement simpliste. Nous cherchons des raisons rapides pour étiqueter et exclure une personne, plutôt que de tenter de comprendre en profondeur ses comportements. Au lieu de l'accuser d'une fatalité, nous utilisons mal notre science pour donner l'illusion d'une réflexion plus civilisée, alors qu’en réalité, nous restons prisonniers des mêmes mécanismes de réduction et de stigmatisation.